L’intelligence artificielle dans l’éducation

L’intelligence artificielle dans l’éducation

Les progrès dans le traitement automatique du langage naturel – démontrés de façon spectaculaire par la sortie de GPT de OpenAI – incitent les enseignants à s’interroger sur la place de ces nouveaux outils dans leur pratique pédagogique.

Il faut d’abord être clair sur la nature de ces technologies. Les analogies sont naturelles ici mais peuvent se révéler trompeuses. On a pu par exemple les comparer aux calculatrices et présenter les interrogations et les doutes qu’elles suscitent comme une version moderne d’un vieux débat dans l’enseignement des mathématiques. C’est une analogie pernicieuse.

Une calculatrice applique un algorithme correct et précis pour produire une réponse correcte et précise à un problème bien défini. Les calculatrices forcent leurs utilisateurs à réduire la richesse et la subtilité du langage naturel en une série d’étapes précises, les forcent à traduire leur pensée dans un langage que la machine est à même de comprendre. Si le résultat obtenu est erroné, c’est sans doute parce qu’on a mal traduit le problème donné, que notre propre compréhension du problème est défectueuse, qu’on a mal compris comment la machine fonctionne ou encore qu’on a simplement fait une erreur de saisie. Ce n’est jamais parce que la calculatrice n’a pas « compris » ce que l’on voulait dire ou qu’elle s’est trompée dans ses calculs.

ChatGPT et les technologies similaires fonctionnent de manière tout à fait différente. L’objectif est précisément de nous épargner le souci de la traduction. Elles utilisent des outils statistiques pour analyser de grandes quantités de texte, appliquant une puissance de calcul massive pour repérer des régularités du discours naturel. Cela leur permet d’accepter des questions imprécises, voire ambiguës, leur appliquer des algorithmes qui n’ont aucune compréhension de la question et produire des réponses approximatives qui ressemblent à du texte vu auparavant. On est à l’opposé du mode de fonctionnement d’une calculatrice.

On est plutôt devant une machine qui, confrontée à un problème formulé en langage courant, du style

Vera vend de la limonade 1,50€ le verre et chaque verre lui coûte O,30€ en glace, citron et sucre. Combien de verres doit-elle vendre pour faire 50€ de bénéfice ?

répondrait parfois 41,6 (50 ÷ 1,20 – le profit par verre – correct mathématiquement mais qui n’a pas de sens vu la question), parfois 42 (la bonne réponse), 34 (50 ÷ 1,50), 167 (50 ÷ 0,30), 15 ou qui sait quoi d’autre encore, la réponse pouvant changer à chaque fois.

Si on connaît déjà la réponse au problème ou qu’on en a une bonne estimation préalable, on est capable de vérifier le résultat mais, dans ce cas, pourquoi demander à une machine ce qu’on sait déjà, hein ? Quoi qu’il en soit, alors que l’utilisateur d’une calculatrice doit être capable de donner à un problème une forme précise et sans ambiguïté, il doit ici être capable d’estimer la plausibilité d’une réponse. Ce sont des compétences très différentes.

Deux approches semblent ainsi fructueuses pour limiter la vulnérabilité des élèves face aux errements de l’intelligence artificielle. La première est de mettre l’accent sur une approche structurée, explicite, dans la résolution de problèmes. La seconde est de confronter régulièrement l’élève à des solutions erronées et de lui demander non seulement de repérer l’erreur mais aussi d’expliquer pourquoi elle a été commise. On passe ainsi de la création à la vérification de solutions.

L’enseignement des mathématiques en France est très bon dans la première approche mais néglige la seconde – une compétence peu entraînée, jamais évaluée. Un enseignement en informatique dans le secondaire doit prendre garde à intégrer d’entrée de jeu les deux approches dans sa pratique pédagogique.

L’objectif d’un enseignement secondaire n’est pas de mémoriser des formules mais de développer l’intuition, la raison et la sensibilité des élèves dans leur appréhension du monde. De ce point de vue, l’émergence de l’intelligence artificielle ne change absolument rien, sinon qu’elle oblige à se concentrer sur l’essentiel – le développement de l’esprit critique.